Accident d’Argenton sur Creuse. Situation de 1983. 1/2

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Il existe quatre facteurs principaux d’accidents ferroviaires :

1 ) le dépassement de vitesse.
2) le non respect d’un signal d’arrêt.
3) le non respect d’une procédure. Bulletins d’ordres, dépêches, action d’une personne sur le matériel.https://franckcie.fr/argenton-sur-creuse/
4) l’avarie mécanique à la voie, à l’infrastructure, au matériel.
Pouvant provoquer : déraillement, nez à nez, prise en écharpe, rattrapage.

En dehors des causes extérieures, choc avec un obstacle, acte de malveillance, etc., le coupable sera toujours une seule personne facilement identifiable, celle qui n’a pas respecté la procédure. En effet, tout est écrit, répertorié, classé et c’est finalement le degré d’importance  du facteur humain que l’on va juger. Puisque l’on sait que l’homme est faillible, on mettra par la suite en place des moyens automatiques, des machines capables de rattraper ses erreurs.


Si l’on se borne aux premiers faits, à chaque fois l’affaire est vite réglée et le fautif coupable.

  • Argenton : survitesse, coupable.
  • Gare de Lyon, non respect des procédures techniques, coupable.
  • Flaujac, non respect de l’ordre de succession des trains, coupable.

Mais à chaque fois, après un premier réquisitoire, on assiste à un revirement de situation et un abaissement des peines, un peu comme si les juges se disaient « c’est la fatalité ». Ensuite reviennent systématiquement les mêmes mots «  les familles des victimes sont outrées », etc.  

D’un autre côté, les dirigeants des entreprises, en l’occurrence la SNCF, se font discrets. Ils laissent volontairement s’axer l’enquête sur ce qui a été fait et ce qui aurait dû être fait. C’est un cul-de-sac. Il mène à la condamnation d’un côté et à un semblant d’apaisement de l’autre.

Ensuite les entreprises mettent en place, parfois sur obligation de l’État, de nouvelles règles en toute discrétion. Parfois elles font des annonces qui ne sont pas suivies d’effet (dans le cas d’Argenton, la SNCF a déclaré vouloir généraliser la radio sur les trains suite à cet accident, et cela n’a jamais été fait, du moins pas en totalité );

Mais nous ne sommes pas ici pour faire le procès de la SNCF ou des tribunaux, seulement faire un travail de fond sur les faits qui ont amené à cette catastrophe et les facteurs aggravants qui s’y sont ajoutés.

Pour s’imprégner de la chose, voilà un schéma construit sur une vue aérienne de 1983.
Il est important de voir la situation dans son ensemble pour pouvoir analyser l’événement.


En 1983 les travaux n’ont pas commencé. 
Nous sommes sur une ligne à double voie sans radio dont la vitesse limite est de 160 km/h.

  • En vert la voie 1 empruntée par le Paris-Port Bou.
  • En rouge la voie 2 empruntée par le train postal.
  • En bleu la voie Z. C’est une voie de service qui se raccorde aux voies principales par deux aiguilles dont la vitesse est limitée à 30km/h, tout comme la voie elle-même. 
  • En marron l’accès et la sortie sud du faisceau triage.

La courbe en amont de la gare ainsi que les installations imposent un ralentissement.

  • Un premier TIV d’annonce 130 « bol » pour les trains dont la vitesse est supérieure ou égale à 160. 
  • Un deuxième TIV 120, plus proche puisqu’il intéresse tous les trains dont la vitesse initiale est inférieure. Surmonté d’un deuxième TIV B 130 pour les trains « rapides ». 
  • Une pancarte Z au droit du signal d’entrée de la gare. Pancarte normalisée, à hauteur normalisée, fixée sur le mât du signal.
  • Une pancarte R à la sortie de la gare, après la dernière aiguille de la voie Z et qui permet à tous les trains, y compris ceux qui sortent du faisceau triage (limité à 30 ) ou de la voie Z, de reprendre leur vitesse normale.


L’idée, à cette époque, c’est de rapprocher les deux voies principales coté BV. 


On prévoit donc de faire passer la voie 1 à la place de la voie Z, l’ancienne voie 1 devenant la voie A. Bien sûr, il va falloir refaire toute la voie Z dont l’armement est celui d’une voie de service.


Pour résumer, notre conducteur a l’habitude de traverser cette gare à 130 km/h sans arrêt. Il se plaît même un peu dans le balancement de cette courbe à grande vitesse et ne manque pas de saluer le chef de gare en éclairant sa cabine, puisque ce dernier a l’obligation de sortir pour regarder le défilement du train.

 
À cette époque, il existe ce qu’on appelle la vigilance. En effet, le conducteur a l’obligation d’appuyer sur un bouton avant chaque signal fermé qui doit normalement « répéter en cabine » . Il doit  ensuite appuyer de nouveau au franchissement du signal fermé.

La suite ->

7 réponses sur “Accident d’Argenton sur Creuse. Situation de 1983. 1/2”

  1. Effectivement Franck, le TIV blanc de reprise d’une LTV n’est pas muni de crocodile, seul le TIVD en a un.

    Bien d’accord aussi avec l’intervention d’Yves et celle de Jean-Pierre, des signaux aurait dû être supprimés, tel le 120, par simple masquage au besoin, mais ça c’est du technique pur.

    Il fat surtout que tout soit calé le jour J, car cela fait partie de la connaissance de ligne, donc si ces VL sautent, la documentation doit suivre.

    Le 120 n’avait plus lieu d’être, puisque le tracé qui l’avait nécessité était en phase de remaniement, donc il aurait fallut laisser la ligne à la VL maxi, et mettre une LTV sur toute la traversée de la gare, au besoin par deux taux différents.

    La LTV 100 était basée sur la VL 120 de l’ancienne voie 1, mais pour arriver à une sortie à 30, cette LTV était plus dangereuse qu’autre chose.

    Je m’étais posé la question de savoir si le Z et R en aval du B.V pour application du 30 pouvait être réglementaires, car Franck nous dit bien que c’est pour franchir une partie de voie au taux indiqué, or ici il y a deux aiguilles.

    J’avais pensé un instant qu’elles pouvaient être neutralisées, ce qui fait que si l’appareil est encore en place, il n’est plus considéré comme aiguille, mais c’est impossible, car il y a la sortie des voies de service sur une partie du parcours.

    D’autre part, je pense que cela n’est que purement réglementaire pour la maintenance et l’exploitation, mais que la signalisation doit être maintenue pendant toute l’existence de l’aiguille.

    Bref, je pense que dans cette affaire, il y a des choix qui ont été faits et qui doivent correspondre à la réglementation de l’époque, même si ce n’était pas très heureux, par contre il semblerait que sur d’autres points la limite réglementaire ait été franchie…

    De mon avis, c’est pourtant plutôt la partie qui a été traitée réglementairement qui a amené au dépassement de vitesse, par cette incohérence de signalisation. Les textes actuels insistent beaucoup pour traiter dans des limites très encadrées, les situations qui ont été des facteurs aggravants à Argenton.

  2. Bonjour à tous,

    Pour Argenton, j’avais fait remonter à Franck les incohérences de signalisation que j’avais perçues, alors que je ne suis pas roulant SNCF. Parmi celles-ci l’incohérence de la signalisation de chantier emboitée dans la signalisation « fixe ». Je recopie mon mail :

    « Pour un néophyte comme moi la signalisation est paumatoire !

    Je vois le TIVD chantier 100 suivi quelque 1500 m plus du 100 exécution, puis du reprise de vitesse en fin de chantier. Mais, entre temps, et c’est là où c’est à se taper la tête contre un mur, je vois le TIVD « bol » 130 et le TIVD 120, qu’a priori on ne prend pas en compte puisque l’on doit réduire à 100, puis je vois l’exécution du 120 ou 130 sous forme d’un Z (là aussi non pris en compte), puis juste après (un grosse centaine de m) un TIVD 30 pointe en bas (qui doit répéter en cabine a priori), puis l’exé du 100 de chantier puis le fin de chantier sous forme du panneau rond, qui suggère la reprise de vitesse de ligne. Mais le piège c’est qu’à cet endroit je suis sous une annonce d’une VL de 30… et 500 m plus loin d’ailleurs on a l’exé du 30… Le train roulant à 100 kmh au moment du déraillement, j’en déduis qu’il a du dérailler sur l’aiguille (ou la TJ ou TJD) peu après le pK 295,250. J’en déduis aussi qu’il n’a pas réduit sa vitesse à 30, car je ne pense pas que le convoi ait pu réaccélérer de 30 à 100 après le panneau blanc de fin de chantier.  »

    Franck m’avait – comme à son habitude – aimablement répondu.

    Je me pose aussi des questions sur le fait que le panneau blanc aurait disparu du secteur après l’accident selon les dires de certains, et, en conséquence, me posais aussi des questions sur l’allumage puis l’extinction de LSSF, lampe « signal fermé ».

    Bien à vous tous,

    Yves

    1. Je répond à Yves et en même temps précise,

      Concernant LSSF, la lampe qui s’allume lors du franchissement d’un signal fermé équipé de crocodile, il est vraisemblable quelle était toujours allumé. En effet seul un signal « ouvert » équipé de crocodile peut effacer cette lumière et dans ce cas le Tableau Blanc de reprise n’est pas équipé «  à ma connaissance » de crocodile.
      Quoi qu’il en soit le conducteur n’est plus tenu de regarde cette lampe une fois qu’il a « acquitté » en appuyant sur le bouton BPACSF ( bouton poussoir d’acquittement de la répétition de signal fermé.).
      Du coup ce n’était pas « un garde fou » efficace.

      Quoi qu’il en soit nous ne sommes pas encore là, sur cette page je n’ai présenté que la situation normal avant le début des travaux pour bien mettre en évidence la logique de la signalisation rencontré, habituellement et pendant des années, par les conducteurs.

      Dans les facteurs aggravant des incidents ou accidents, souvent survient ce que l’on appel « le délit d’habitude ». Nous en sommes tous coupable chaque fois que nous provoquons un accident de la route sur notre trajet du domicile/travail, par exemple. C’est une cause non négligeable qu’il faut prendre en compte.
      Franck.

    2. Bonsoir à tous,
      Je rebondis sur les réflexions d’Yves que je partage en tous points. Je m’en étais déjà ouvert à Franck.

      Le fait que d’autres trains aient traversé un tel traquenard, et vraisemblablement bien d’autres, sans incident, rend en tout cas honneur à la perspicacité et à l’attention des tractionnaires.

      Vu de l’œil du profane, je pense que d’un point de vue purement sécuritaire, il est impératif d’éviter toute source de confusion. Il ne me parait pas heureux de laisser subsister des signaux privés de sens par l’effet d’autres signaux. Comme c’était le cas des TIV type B 130 et du TIV-D 120 des Pk 292,8 et 293,3 qui en l’espèce n’étaient que des facteurs de distraction. Il n’est pas nécessaire de les démonter: il suffit d’en masquer les indications.
      Il me paraît d’autre part aussi dommage d’avoir « mêlé les genres ». Dans le cas cas d’Argenton, une succession de TIV ronds (limitation temporaire) à 100 et ensuite un TIV-D 30 , normalement destiné à une limitation permanente, mais ici destiné à prendre en compte une situation qui était en fait également temporaire puisque liée au réaménagement de la gare . Un mécanicien circulant déjà dans une zone temporairement limitée à 100, eût peut être été plus réceptif à une TIV temporaire 30 (avec disque jaune).
      Je n’aborde pas l’effet du fameux signal de reprise (tableau blanc), sa présence au moment de l’accident demeurant incertaine .

      La plupart des réseaux (outre la SNCF, la Suisse et l’Italie me viennent à l’esprit) signalent les limitations temporaires de vitesse par des signaux différents de ceux régissant les limitations permanentes. Curieusement, les premiers sont souvent moins visibles que les seconds car de plus petite taille, probablement par facilité de manutention.
      Sur d’autres réseaux, c’est différent. En Belgique (c’est ma minute de chauvinisme!) les signaux de limitation de vitesse temporaires ont une présentation quasi identique à ceux de limitations permanentes (il y a, en plus deux points de part et d’autre du chiffre – en dizaines de kilomètres- et ils sont appuyés par deux feux jaunes clignotants. Le signal de reprise indique en outre la vitesse autorisée après son franchissement). En Allemagne également, la présentation est quasi identique , sinon que le signal à distance est jaune, éclairé par transparence et appuyé par deux feux jaunes.

      Bien cordialement,
      Jean-Pierre

  3. Bonjour Bastien,

    En fait, il y a deux responsabilités: celle de l’entreprise pour n’avoir que des procédures sans boucle de rattrapage avec en plus l’une d’elles qui est dangereuse (annonce conditionnelle, c’est-à-dire annonce d’un train avant réception du dernier train de sens contraire). Ensuite, il y a celle des agents, qui quoi qu’on en dise n’étaient pas de jeunes agents, mais étaient expérimentés.

    Celui d’Assier avait 37 ans, et celui de Gramat 44, et ils étaient sur leur zone d’emploi. Etre intérimaire dans les gares, c’est avoir certaines méthodes de travail, on doit s’adapter rapidement.
    L’exploitation de la voie unique n’était pas un secret pour ces gars, puisque tout leur secteur était sous ce régime, à part quelques kilomètres de double-voie entre Capdenac et Figeac.

    Mon avis, malgré que je sois du métier, est qu’ils ne travaillaient pas bien, et ils se sont fait avoir. Je n’ai jamais exploité en cantonnement téléphonique, du moins pas hors dérangements d’installations, mais pour avoir eu le témoignage de collègues de ma zone qui ont connu ça, ils avaient peur du comportement de certains qui prenaient ça à la légère.

    De mauvaises habitudes étaient fortement ancrées, et une sorte d’omerta régnait. La plupart du temps, tout ça passait car les agents étaient sur des trains connus avec une succession pratiquement toujours identique.

    Pour Flaujac, le problème si on peut dire, était que l’agent est intervenu à Assier à un changement de service et il y avait des successions différentes selon les jours. A noter que cela aurait pu arriver à un agent en roulement travaillant uniquement dans cette gare, par exemple après une période de congés.

    Pour moi, les deux principaux problèmes sont le fait d’une réglementation partiellement dangereuse et sans boucle de rattrapage, mais aussi le manque de rigueur dans l’application des textes.

    Si les gars avaient appliqué strictement la réglementation, la possible erreur résultant d’une mauvaise appréhension de la succession des trains n’aurait pas été de leur responsabilité, mais le fait qu’ils échangeaient les dépêches sans utiliser les numéros de trains les accable.

    En lisant le compte-rendu du procès, on voit bien qu’ils ont compris et c’est à demi-mot qu’ils admettent qu’ils n’ont « sans doute » pas utiliser ces numéros. Pour la bonne et simple raison que cela ne se faisait jamais et ça faisait partie du paysage si on peut dire.

    Ce qu’il faut dire, c’est qu’aujourd’hui il ne viendrait à l’idée de personne de travailler sans utiliser la dénomination des trains.
    On peut aussi ajouter qu’il manque au procès une dimension sociale, qui induisait des comportements. C’est laissé pour compte, mais pourtant c’est très important.

    Pour avoir connu et travaillé avec un certain nombre d’agents-circulation, en dehors de la maîtrise du métier, il y avait des types de gens plus enclins à survoler les procédures que d’autres, et c’était assez lié à un contexte socio-culturel.

  4. Il y a quelques semaines, je suis tombé sur ce petit docu qui m’a paru assez sensé :

    https://www.youtube.com/watch?v=meN6XQeb9Dw

    J’en avais conclu, tout amateur que je suis en matière de ferroviaire, que la cause principale de l’accident était d’avoir largué ce chef de gare inexpérimenté sans lui fournir les infos essentielles, surtout qu’il n’était pas dans un jour habituel pour le fonctionnement des circulations.

    Le gars ne pouvait pas vraiment éviter de commettre une erreur fatale, puisque d’emblée-d’entrée dépassé par la situation globale.

    Si je peux parler d’un sujet dans lequel je suis plus pointu, les pilotes du Rio-Paris AF-447 n’avaient pas vraiment d’issues mentales pour comprendre et régler correctement le problème qu’ils ont rencontré : un avion tout automatique devient soudainement tout manuel ; et décroche alors qu’il est vendu depuis 30 ans comme impossible à faire décrocher …

    Ce qu’on ne dit jamais, qu’est devenu cette personne dont la carrière de chef de gare a du être écourtée ?

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